CHOIX DE TEXTES DE JACQUES HUISMAN
La magie du théâtre (1951)
« Nous sommes dans une petite ville boraine, ardennaise ou hesbignonne, à l’entrée du Théâtre Communal. Il est 8 heures du soir. Par petits groupes sortant de la nuit, cinq cents personnes entrent dans la lumière du « contrôle ». Il y a là l’épicier de la Place du Jeu de balle, six jeunes filles de l’orphelinat, le piqueur du puits 27 et sa femme, le notaire et la notairesse, la demoiselle du Prisunic qu’accompagne le premier clerc de l’Enregistrement... Ils entrent dans la salle ; y prennent place. Les trois coups sont frappés. La lumière s’éteint. Le rideau se lève. Ce qui commence à ce moment est une opération de magie. Ces cinq cents spectateurs que tout sépare (âge, éducation, métier, caractère) vont bientôt ne plus former qu’un seul être : le public. Ce monstre au millier de yeux et au millier d’oreilles va rire d’un rire unique, retenir sa respiration d’une seule haleine, créer son propre silence. L’heure avance. Le spectacle suit son cours. Et peu à peu le public, de toute sa foi, va renverser la barrière de la rampe. Il fait bien plus qu’assister au spectacle, il s’y intègre ; il s’y fond. Ces cinq cents habitants d’une cité wallonne de l’an 1951 deviennent la foule tragique des citoyens d’Argos regardant brûler leur ville, le petit monde démoniaque et sautillant de « La Vie parisienne », le peuple de Londres terrorisé par les fureurs d’un roi dément. Un dernier rire, un dernier cri. Le rideau tombe. L’enchantement se dissipe. Mais chaque spectateur redevenu lui-même emporte en lui une part de cette aventure qu’il vient de vivre, de ce trésor qu’il a conquis. Le théâtre est une opération de magie ».
Extraits de « Un jeune homme qui n’a jamais changé d’idée. »
Vidéo-montage - 1986.
« Le meilleur moment pour réfléchir c’est en marchant ».
« Quand, en 1945, on m’a demandé : voulez-vous fonder un Théâtre National, j’ai dit oui sans hésiter. Naturellement cette nomination a fait un énorme chahut ; la presse était scandalisée. Et j’avoue que maintenant je m’étonne de ne pas m’être étonné ! ».
« Le métier de comédien est très risqué. Leur statut social doit être amélioré au moins au niveau des professeurs de l’enseignement secondaire, avec les mêmes garanties ».
1976
Que représente le théâtre pour vous ?
« C’est d’abord mon métier, en toute simplicité. Cela représente ensuite la possibilité d’interpréter des textes pour un public que l’on cherche à intéresser et initier à la parole d’auteurs. Le théâtre reste pour moi un art complexe qui touche directement à la littérature, à la musique, aux arts plastiques et qui, par conséquent, ouvre au public, des fenêtres sur ces différentes disciplines ».
Comment devient-on metteur en scène ? Si un jeune vous posait la question, que lui répondriez-vous ?
« Je lui dirai ceci : il faut d’abord réunir six personnes qui ont envie de travailler avec toi et les amener à respecter ton idée On peut bien sûr acquérir une certaine formation technique. Mais il faut avoir l’autorité naturelle. Si on ne possède pas cela, ce n’est pas la peine de commencer ». « Un bon metteur en scène tient du chef d’orchestre. Il doit s’occuper autant des solistes que du plus obscur des choristes, il ne peut abandonner personne, il doit s’efforcer de permettre à chacun de s’exprimer. De même au théâtre, la troupe permanente donne au metteur en scène l’occasion de travailler avec un groupe soudé qui possède sa personnalité propre ».
1985
Qu’est ce qui est le plus important pour vous ? Diriger un théâtre ou faire de la mise en scène ?
« Je pense que le travail de metteur en scène est capital et qu’il serait dommage d’être directeur de théâtre sans avoir de contact direct et professionnel avec les comédiens. Le théâtre, c’est en grande partie les comédiens qui le font tous les jours, qui chaque soir, en portent la responsabilité ».
« Un passeur de bonheur » : « Mons Rencontre » réalisée par Dolorès Oscari, le 15.2.94. Diffusée aussi sur France Culture en 1995.
« Je n’ai pas cessé d’être heureux de mon travail au théâtre ».
« Le comédien est l’axe central de l’événement théâtral, il en est le porteur. Avoir oublié cela est la cause d’erreurs. L’acteur est l’alpha et l’oméga de la représentation théâtrale. Il est tous les jours jugé par le public. Le metteur en scène n’est plus là quand la représentation commence, l’électricien a son carnet où tout est écrit. Le comédien doit conquérir seul le public qui est devant lui. Il porte à lui seul toute la pensée de l’auteur pour la transmettre au public.
J’aime vivre avec les comédiens, j’aime les comédiens ».
Le théâtre reçoit beaucoup de subventions et pourtant beaucoup de comédiens sont au chômage aujourd’hui (1994).
« C’est vrai. Il n’y a pas d’obligation à consacrer en priorité cet argent aux comédiens de notre communauté. Il y a un déséquilibre flagrant entre les dépenses pour les acteurs et celles destinées à la technique, la décoration, la musique, les éclairages, le transport, le personnel technique ».
« Il y a eu une période où les metteurs en scène ont été mis en vedette. Ce n’est pas normal. La représentation des pièces de théâtre s’est faite à l’image stricte de la conception du metteur en scène. Au lieu d’être polyvalente et de permettre au spectateur de recueillir sa propre vision de la pièce. J’ai été intéressé pendant quelques années à ce travail puis je me suis rendu compte qu’il ne conduisait à rien et corrompait fortement l’événement théâtral. Le théâtre au lieu de rester au service du public était mis arbitrairement au service du plaisir du metteur en scène. Je condamne absolument ».
« Le théâtre est un droit pour le citoyen comme le droit à l’instruction. Par conséquent, ceux qui ont la charge du théâtre doivent penser qu’ils ont la charge d’un instrument puissant dans le cadre de l’éducation permanente, dans le perfectionnement du public auquel ils s’adressent. C’est une fonction éthique. L’esthétique, le soin apporté à la représentation, son rythme, ce qui est à la mode ou pas à la mode, devient secondaire ».
« Il y a trois choses dont on ne peut se passer dans la représentation théâtrale et trois choses seulement : un auteur, c’est-à-dire un texte, des interprètes (au nombre desquels je compte les comédiens, le décorateur, les musiciens, les techniciens son et lumière, le metteur en scène) et des spectateurs. Minimiser ou escamoter un de ces trois pôles revient à détruire l’art théâtral. C’est pourquoi d’ailleurs il n’y a pas de recette de succès au théâtre : le rapport entre la salle et la scène dépend autant des comédiens que du public. Et comme les spectateurs sont différents chaque soir… »